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Faut-il une maternité à Taravao ?


Le Centre médical de Taravao n'est pas équipé pour réaliser des accouchements, alors que 1000 femmes enceintes sont suivies à la Presqu'Île chaque année. Elles doivent toutes aller à Pirae ou Papeete pour mettre leur bébé au monde.
Le Centre médical de Taravao n'est pas équipé pour réaliser des accouchements, alors que 1000 femmes enceintes sont suivies à la Presqu'Île chaque année. Elles doivent toutes aller à Pirae ou Papeete pour mettre leur bébé au monde.
PAPEETE, le 12 octobre 2017 - Une pétition alertait récemment sur la nécessité d'installer une maternité à Taravao. Quelle est vraiment la situation dans cette zone qui accueille près de 1000 nouveaux-nés chaque année ?

Ceux qui ont encore le souvenir du centre de naissance de Taravao sont d'une autre génération puisqu'il a fermé en 1998. Depuis, la population a presque triplé, et avec la construction du centre hospitalier de Polynésie française de Taaone, le CHPF de Pirae centralise tous les services de chirurgie et d'obstétrique (hors cliniques privées) de Tahiti et Moorea.

Comme l'expliquait en 2015 l'ancien ministre de la Santé, Patrick Howell, il n'y a pas d'hôpital à Taravao (contredisant ainsi le panneau à l'entrée de la structure, photographié en illustration de cet article). Cette commune a aujourd'hui un centre médical, qui ne dispose que d'un service de médecine générale et d'un service d'urgences. Mais en l’absence de service de chirurgie pour pratiquer des césariennes, et surtout d'une banque de sang pour transfuser en urgence les accouchements difficiles, aucune mise au monde ne peut être pratiqué sur place de façon sereine.

Un professionnel médical de l'hôpital, au courant de la situation des trois sage-femmes qui gèrent les près de 1000 grossesses annuelles de la grande agglomération de la Presqu'Île, accepte de nous expliquer le dessous les cartes sous couvert d'anonymat.

La difficulté de recruter des sage-femmes

Il commence par expliquer que les trois sage-femmes en poste assurent la plupart des consultations obstétriques du centre médical, puisque aucun médecin gynécologue autre que le médecin urgentiste n'est en poste. Il y a une salle d'accouchement, mais le personnel n'est pas formé à ce matériel et c'est de toute façon bien insuffisant pour assurer des accouchements en toute sécurité. Les trois sage-femmes assurent aussi des astreintes en cas d'urgence toutes les nuits et tous les week-end, ce qui devrait nécessiter quatre postes.

L'un des défis de ce service, comme tous les autres au centre médical de Taravao, est le manque d'attractivité des postes. On se rappelle les différents cris d'alarme lancés dans nos colonnes depuis Taravao ces deux dernières années, concernant le manque de médecins urgentistes...

Les raisons de ce désamour sont nombreuses. Une sage-femme libérale nous explique ainsi que "sur les 8 jeunes diplômées de l'école de sage-femme, une seule a accepté un poste pour la direction de la Santé, pour aller aux Australes où elle sera la seule sage-femme. Aux Marquises aussi elle est seule, à Moorea et à Taravao il manque des postes… Donc à chaque fois ce sont des horaires de dingue, et la sécurité des sage-femmes et des patientes n'est pas assurée. Avec l'administration qui méprise les sage-femmes, on est mieux en libérale !"

Accouchements dans l'ambulance

A Taravao justement, sans moyens de procéder à une césarienne, à une transfusion sanguine ou à l'éventuelle réanimation d'un nouveau-né, les urgences obstétriques qui se présentent sont envoyées en ambulance au CHPF. "Les vies d’une femme et de son enfant peuvent être compromises par la distance pour aller à Pirae" explique justement la pétition publiée le 3 octobre et signée plus de 200 fois depuis.

Notre source à Taravao confirme qu'il arrive que l'ambulance soit déjà partie quand une deuxième patiente se présente. "Si le cas est sévère, c'est l'hélicoptère. Sinon on essaye de faire une correspondance de l'ambulance avec le SMUR pour qu'elle rentre plus vite, de toute façon ça coûte très cher…" Au final, sauf en cas d'urgence, la patiente devra attendre le retour de l'ambulance ou se déplacer par ses propres moyens… Et parfois elle finira par accoucher chez elle, dans un véhicule en route vers Pirae, ou dans la salle d'accouchement de Taravao. Selon le docteur Bonnamy (voir interview), elles sont tout de même 25 dans ce cas chaque année, dont la moitié est accouchée par les sage-femmes du centre médical de Taravao.


Docteur Bonnamy, gynécologue obstétricien à Taravao depuis 2006

"Il faut vraiment comprendre qu'aujourd'hui nous sommes arrivés au bout des solutions créatives, nous sommes dos au mur, il nous faut un hôpital ou une clinique"

"Cette histoire ne date pas d'hier. En ce moment grâce à cette pétition, tout le monde se met en ébullition sur le sujet, et tant mieux. ça fait 10 ans que j'essaie d'informer les dirigeants et les acteurs de la santé pour leur dire qu'ici il va y avoir un gros problème très bientôt. On a des difficultés à soigner les gens et à les évacuer vers Papeete, alors que la population a doublé ces dernières années. On suit bien les femmes enceintes, mais les cas problématique doivent toujours être évasanés vers Papeete.

Il y a de gros efforts de la part des sages-femmes et de toutes les équipes publiques et privées de la zone pour anticiper les choses, donc on évite les gros problèmes. Mais les chiffres restent stables, avec 25 accouchements hors secteur chaque année, donc au bord de la route, à domicile, dans l'ambulance ou, pour la moitié d'entre elles, à l'hôpital de Taravao. Il y a aussi toujours 100 femmes enceintes qui se présentent aux urgences chaque année et sont évacuées vers le CHPF. Ce n'est pas si énorme par rapport aux 1000 accouchements domiciliés entre Papara et Hitia'a, incluant la Prequ'Île, recensés chaque année. Mais ces 1000 accouchement pourraient être accueillies ici si on faisait une maternité. C'est un seuil presque au double de ceux utilisés en métropole pour calculer si un tel investissement serait rentable économiquement et en termes de sécurité.

Car pour la sécurité il faut bien comprendre la distance. A Tautira ou à Teahupoo, il y a minimum une heure et demie de route vers la maternité, sans compter les embouteillages. On travaille sur les hélicoptères, mais ça peut vite coûter très cher du point de vue comptable...

Donc il nous faudrait un petit hopital MCO, c'est-à-dire médico-chirurgico-obstérical, comme celui de Raiatea ou l'une des deux cliniques. Ça permettrait d'accueillir les cas d'urgences, les accouchements, tout ce que fait un hôpital de campagne… En 2011 il y a eu un projet bien étudié par le directeur de la Santé de l'époque, le docteur Charles Tetaria, pour un petit MCO à Taravao. Le projet était vraiment bien mené, avec des ingénieurs, des géomètres, tout ce qu'il fallait avec l'architecture, la construction, tout était fait. Mais son équipe a perdu les élections et le projet n'a pas été mis en place. C'est vraiment dommage qu'aujourd'hui ce projet traîne dans les cartons…

Il faut vraiment comprendre qu'aujourd'hui nous sommes arrivés au bout des solutions créatives, nous sommes dos au mur, on a vraiment besoin d'un petit hôpital ou d'une clinique ici. A la Presqu'Île on n'a vraiment pas les mêmes chances qu'à Papeete. Le Schéma d'organisation sanitaire a été rendu et concluait aussi en ce sens. Il n'y a plus de raison d'attendre : on en a trop discuté, il faut y aller !"

Rédigé par Jacques Franc de Ferrière le Jeudi 12 Octobre 2017 à 20:33 | Lu 2294 fois